mercredi 26 septembre 2012

Vous n'avez encore rien vu

Réalisé par Alain Resnais (real de la captation : Bruno Podalydes) – Avec Sabine Azema, Anne Consigny, Denis Podalydes, Pierre Arditi, Mathieu Amalric, Hippolyte Girardot, Andrzej Seweryn, Lambert Wilson, Annie Duperey, Michel Piccoli, Jean-Noël Brouté, Michel Vuillermoz, Michel Robin – 1h55 – France


« Vous n’avez encore rien vu »?
Pour ceux qui suivent de près comme de loin le travail d’Alain Resnais, il semble que si l’on a rien vu, tout était déjà dit.
On peut d’abord s’amuser de l’ouverture rappelant « 6 personnages en quête d’auteur » de Pirandello, avant de se rendre compte que ce que l’on pensait être de la malice se trouvera vite être un gadget, censé confondre les spectateurs mais qui flirte dangereusement avec l’auto citation, pire pour ceux qui ont toujours aimé chez ce cinéaste l’inventivité et l’audace, une certaine paresse.
Les plus prestigieux comédiens (souvent également les plus prestigieux cadres de la LCL) sont ainsi invités à faire passer les indigestes tartines du Eurydice et du plus méconnu « Cher Antoine » d’Anouilh qui se trouve au cœur du film.
 On peut penser que faire jouer au théâtre ce soir du Jean Anouilh, n’est pas le comble de la modernité ni de l’audace, mais comme on aime Resnais, on attend d’être surpris… Raté.

 Un metteur en scène mort, ses comédiens sont convoqués dans sa luxueuse maison pour prendre connaissance du testament artistique du défunt : Ils devront regarder la captation d’une énième version des pièces d’Anouilh par une jeune compagnie théâtrale, alors même que chacun des prestigieux invités furent les acteurs de cette pièce au cours des nombreuses adaptations. Rapidement les comédiens assistant au film font écho à l’interprétation de la jeune compagnie…
On se doute que ce ne sont pas les deux pièces qui justifiaient ce film pour Alain Resnais, mais surtout le fait de mêler ce qu’Anouilh peut faire raisonner en lui : les fantômes convoquant les vivants, le passé envahissant la vie. Comme Resnais fut un « moderne », à côté (plutôt qu’au côté) des réalisateurs de La Nouvelle Vague, Anouilh fut avec Gide ou Giraudoux au théâtre et évidemment avec les écrivains du nouveau roman avec qui il collabora. Hélas, plus aucune modernité, dans ce « Vous n’avez encore rien vu. » C’est même une torture que de voir de si brillants acteurs (Pierre Arditi, Anne Consigny, Sabine Azema, Hippolyte Girardot…) afficher des airs compassés et rendre encore plus pesants les dialogues sur la vie, l’amour, la mort etc etc…
Le processus visant à faire répéter les mêmes bribes du texte, à la file, aux différents acteurs, fait penser à la captation d’un long cours de théâtre. Pire : la mise en parallèle avec certains comédiens aussi justes et inventifs que Mathieu Amalric ou Hippolyte Girardot est cruelle pour les jeunes comédiens de la compagnie de la colombe. Demander à Bruno Podalydes de filmer cette jeune troupe ressemble à une fausse bonne idée. Même s’il ne s’agit pas de juger leur interprétation ou la mise en scène, c’est tout simplement hors sujet, le film dans le film coupe le rythme et rend l’œuvre interminable.
La mise en abyme devient un procédé grossier, destiné à masquer la lourdeur du propos. On devine les comédiens face à leur passé, face à l’absence du metteur en scène. On croit voir le futur fantôme du réalisateur se retourner sur son travail, son rapport aux comédiens. On entend même un « vrai » fantôme : la voix d’André Dussolier, habitué d’Alain Resnais, absent de la distribution. Une esthétique tape à l'oeil qui tente le passage en force, c'est tout ce que l'on ressent devant les effets de mise en scène dans un décor entièrement numérisé.
Resnais voulait s’affranchir du diktat de la vraisemblance, utiliser les possibilités du numérique pour jouer sur le réalisme. Idée louable : l’aspect artificiel du numérique aurait pu contribuer à inventer ce monde, entre réalité et fantasme. Une fois de plus, à chaque plan apparaît le manque de finesse, la volonté d’en mettre plein la vue et de rendre le moindre robinet de lavabo d’une infinie poésie. Les modifications des décors numérisés, les fautes de raccords volontaires, les petits clins d’œil (une affiche d’un film de Resnais par exemple), la disparition et la réapparition d’éléments : tout ceci devient si voyant qu’il parasite l’ensemble. A Chaque plan nous sommes censés nous exclamer sur La « liberté » de l’artiste qui n’est qu’une béquille sur laquelle s’appuie un réalisateur qui semble ne pas savoir comment aborder son véritable sujet : son dialogue avec des fantômes. L’inventivité formelle laisse place ici à l’instauration d’une fausse complicité entre spectateur et réalisateur : il peut tout se permettre, nous applaudirons à chaque fois.
Désolé, mais malgré tous nos efforts, malgré l’admiration que nous gardons pour ce grand metteur en scène et pour ces comédiens: nous sommes juste devant une pièce de théâtre, rien de plus qu’un texte que nous aurions espéré moins sentencieux et transcendé par la mise en scène. « Vous n’avez encore rien vu » ploie sous une poésie factice qui devient une machinerie prévisible et au mécanisme trop voyant.

 Alain Resnais ressemble à son Antoine, il se moque de nous juste pour savoir si nous l’aimons toujours, jusqu’où sommes-nous prêts à le suivre aveuglément.
Certains peuvent vouloir entrer « dans la forêt » avec lui, mais nous pouvons plus sûrement rester à l’orée, laisser l’artiste manipulateur s’enfoncer tout seul.
Il est réconfortant d’imaginer que la fin du film laisse penser que Resnais ne souhaitait pas qu’on s’y enfonce avec lui et qu’il puisse comprendre que l’on apprécie pas sa mauvaise blague.
 La seule bonne nouvelle, c’est qu’effectivement nous n’avons rien vu et que le beau film d’un fantôme convoquant les fantômes de son passé reste à faire pour Alain Resnais.

Jeremy Sibony