mercredi 18 janvier 2012

Millénium

Réalisé par David Fincher - Avec Daniel Craig, Rooney Mara, Christopher Plummer, Stellan Skarsgard, Robin Wright - 2h38 - Etats Unis

S’il y a des films idiots, il y a forcément des spectateurs imbéciles. Prenez par exemple un spectateur que nous nommerons « el cracou ».
El cracou a lu « Millénium » de Stieg Larson, et ça l’a profondément ennuyé.
Quand la première adaptation est sortie, El Cracou a pourtant été voir le film : et ça l’a profondément ennuyé.
La version télé de ce film passe sur canal ? El Cracou la regarde…et ô surprise, ça l’ennuie profondément (surtout qu’il commence à deviner la fin).

Les américains jugeant qu’un best seller n’est pas vraiment adapté s’ils ne sont pas dans la combine, décident de réadapter Millénium au cinéma.
Qu’est ce qui peut bien se passer dans l’esprit pourtant vif et alerte d’El Cracou pour qu’il se dise « ah chouette Millénium ».

C’est à la troisième minute du film que j’ai compris que j’étais un imbécile.
Quand je commençais à réciter les répliques juste avant qu’elles soient prononcées, en regardant non pas l’écran, mais mon voisin…

Je me suis donc infligé pour la 4eme fois Millénium, sachant que non seulement je connaissais l’intrigue, mais que depuis des années, je la trouvais nulle.

Que David Fincher en soit le réalisateur ne change rien, si ce n’est que Fincher ne connaît pas l’ellipse et qu’à part l’achevé d’imprimer, avec les dates et lieux d’impression, chaque page sera soigneusement adaptée à l’écran, dans une jolie lumière automnale ocre qui est le plan B de Fincher quand il n’a plus d’idée de mise en scène.

Daniel Craig est si sobre qu’on oublie non seulement qu’il est James Bond, mais aussi qu’il est dans le film. Quand au personnage le plus intéressant de l’histoire : la jeune fille, l’interprétation de Rooney Mara ne fait pas oublier son double « suédois » : Noomi Rapace, unique intérêt de toute l’entreprise Millénium.

Maintenant j’espère que personne n’aura l’idée d’en faire une comédie musicale, parce que je ne peux pas vous jurer que je n’irais pas.

Jérémy Sibony

L'Amour dure trois ans

Réalisé par Frederic Beigbeder - Avec Gaspard Proust, Louise Bourgoin, Jonathan Lambert, Joey Starr, Nicolas Bedos - 1h38- France

J’aime bien Beigbeder…

J’avoue... Je le trouve drôle, sympathique, cultivé.
Son émission « Le Cercle » est la seule émission de cinéma, correcte à la télévision. Y voir Jean-Marc Lalanne des Inrocks se faire bâcher par Anne Sauvion du Parisien, par Philippe Rouyer de Positif, enfin bref, par tout le monde à longueur d’émission est un plaisir sans fin.

J’aurais dû me méfier, déjà parce que l’écrivain est sur estimé et que l’on retrouve chez le cinéaste les faiblesses de l’écrivain.
Ecrivain-dandy, dans la perpétuelle angoisse de saisir l’air du temps pour planquer les pires niaiseries et les clichés les plus insupportables derrière un cynisme opportuniste.
Parfois, l’humour et la légèreté font oublier le côté putassier de l’œuvre : de mauvais livres écrits par un mec doué…

Son passage au cinéma règle le problème : un mauvais film réalisé par un mauvais cinéaste et surtout interprété par ce que la scène germano-pratine peut faire de pire : avec en tête Gaspard Proust, le Desproges du quartier Latin.
La pire erreur de casting depuis Jar Jar Binks…
Chaque réplique semble être une torture, on cherche le prompteur avec lui, parfois il se rappelle pourquoi il est à l’écran, alors il roule des yeux.
Seul les rares apparitions de Nicolas Bedos font oublier le jeu de Gaspard Proust. Parce que oui, Beigbeder ayant décidé de remplacer les comédiens par des animateurs télé, on a aussi le droit à Nicolas Bedos, qui en 5 minutes d’apparition et deux scènes donne matière à une thèse sur le népotisme.

Si les modèles de Beigbeder sont évidemment les comédies incorrectes de Judd Apatow, il semble qu’il ait oublié un des ingrédients de base : de vrais bons comédiens, capables de nous emporter avec eux dans leur hystérie et de faire passer des gags vulgaires pour de la transgression.
Il manque aussi une mise en scène énergique, de vrais gags, mais aussi, on aurait tendance à l’oublier une morale hollywoodienne assumée.
Beigbeder traîne avec lui sa honte de réaliser une comédie romantique. Le genre est trop dénigré en France pour que le dandy écrivain l’assume, on a donc le droit à ce qu’il y a de pire : un cinéaste qui à chaque plan essaye de nous dire qu’il est plus malin que son film…

Il faudra l’écrire sur les murs de la Sorbonne : Frédéric est un dégonflé…

Jérémy Sibony

Duch, Le Maître des forges de l'enfer.

Réalisé par Rithy Panh - Documentaire - 1h45- Cambodge

Film après film, le documentariste Rithy Panh poursuit son minutieux travail de mémoire du génocide cambodgien.
Après l’éprouvant « S21, la machine de mort khmer rouge », le cinéaste rencontre le directeur de camp de la mort où furent emprisonnés, torturés, assassinés les hommes et femmes suspectés d’être des contre-révolutionnaires suppôts de l’impérialisme (c’est à dire à peu près n’importe qui pour n’importe quel motif, dans un monde où porter des lunettes conduisait à la mort).
Duch fait face caméra. Derrière une table, ce vieillard ressemble à n’importe quel autre vieillard.
Et il raconte.
Il raconte les arrestations arbitraires, les interrogatoires où l’on arrache les ongles, où l’on force les « ennemis du peuple » à manger de la merde. Il raconte son ancienne maîtresse d’école arrivant là, violée avec un bâton par un des jeunes interrogateurs fanatisés du camp.
Il ne pouvait rien faire pour elle, de peur de passer pour un faible.
Duch pourrait passer pour un simple exécutant, caché derrière le « je n’avais pas le choix », ce fut d’ailleurs sa défense à son procès : il n’était qu’un exécutant, qu’une petite main. Comme Eichmann à Jérusalem, il essaiera presque de passer pour une victime de temps troublés.
Seul derrière sa table, Duch essaie de se mettre en scène et le talent de Rithy Panh. C’est de capter cela, le « jeu » du bourreau et sa mise en scène pour s’attirer, si ce n’est la sympathie, au moins la compassion du spectateur.

Duch fait ainsi face aux spectateurs, décrivant avec minutie la machine de mort khmer rouge. Cette minutie fait peur. Ce professionnalisme face à sa mission d’alors, cette rigueur que revendique le tortionnaire comme un bon artisan est presque insoutenable.
L’homme attendrait presque des compliments pour son sérieux et son dévouement, il en tire une vraie fierté que quelques regrets d’apparence ne masquent pas. Le spectateur est bousculé, surpris par cette attitude qui n’est donc pas celle d’un monstre de cinéma.

Quelques courtes séquences où témoignent des victimes ou des tortionnaires aux ordres de Duch viennent souligner l’atrocité de certains propos que Duch prononce de façon anodine.

Durant ces témoignages, la caméra revient sur les lieux de l’horreur et nous sentons la présence de fantômes errant dans des pièces délabrées et des bâtiments abandonnés.
La plupart des vivants que nous voyons sont pourtant des bourreaux, Rithy Panh arrive à filmer l’indicible : sans montrer, sans s’aider de la fiction et de ses artifices, la force du verbe est si puissante, parfois presque insoutenable, que nous voyons presque apparaître les fantômes des victimes du génocide.


Alors, la vision de Duch en devient insupportable. Car l’homme rit. Souvent, par gêne ? Ou juste pour installer une complicité entre lui et la caméra.
Ce rire incompréhensible, inacceptable glace le spectateur et le hante longtemps après la projection du film.


Jérémy Sibony

mercredi 11 janvier 2012

J. Edgar

Réalisé par Clint Eastwood - Avec Léonardo DiCaprio, Armie Hammer, Naomi Watts, Judi Dench, Josh Lucas - 2h15 - Etats Unis

Salué comme l’un des derniers grands cinéastes classiques américains, Clint Eastwood étonne encore avec son faux biopic sur J.Edgar Hoover , créateur du FBI qu’il dirigea pendant 40 ans, ce qui lui permettait d’établir des dossiers sur tout le monde et particulièrement les présidents de son pays, ce qui faisait de lui l’homme le plus puissant et le plus redouté des états unis (à quand une bio de Pasqua et de son emprise démoniaque. sur les hauts de seine ?)

En apparence, tout était donc réuni pour une de ces biographies filmées dont Hollywood a fait un genre à part entière : avec ses flash-back, ses scénarii plus hagiographiques que biographiques, ses maquillages vieillissant un jeune acteur et sa psychanalyse bon marché (enfance difficile, trauma de jeunesse….
Mais cinéaste classique ne veut pas dire prévisible : sans non plus chercher à bouleverser le genre, Eastwood reprend ses codes pour les travestir avec une véritable audace.
Le film surprend d'abord par son refus de la reconstitution spectaculaire. Au contraire, le cinéaste ose un récit intimiste, quasi-huis clos, mélangeant les époques, bavard et laissant de coté des pans entiers des faits et méfaits de Hoover.
Pour un cinéaste que l’on pense installer, Eastwood livre son film le plus surprenant visuellement. L’utilisation incessante du Flash-back, d’une séquence à l’autre sans repère pour le spectateur, déstabilise d’abord, avant que se noue un tissu de relation entre réalité et mensonge, passé et présent, tout se brouillant comme dans l’esprit perturbé de Hoover que
Eastwood illustre insidieusement. La « part d’ombre » de son héros se matérialise ainsi par un éclairage minimal.
Mais plus que sur la forme, c’est sur le regard que l’on attendait avec curiosité le film du réalisateur d’ »Invictus »
Il est intéressant que ce personnage pour le moins controversé soit porté à l’écran par l’un des rares cinéastes républicains déclarés.
S’il était difficile d’imaginer une hagiographie du bonhomme, on attend forcément autre chose du grand Clint autre chose qu’un jeu de massacre….
Eastwood ne cherche pourtant pas à édulcorer le personnage d’Hoover, créateur et patron du FBI pendant un demi-siècle. Possédant des dossiers sur tout et tout le monde, vivant dans une haine viscérale des communistes, mythomane avéré et patriote au limite du fanatisme.
Etrange récit qui fait de la vie d’un des personnages les singuliers de l’histoire américaine un condensé des angoisses et thèmes Eastwoodien.
Hoover vit ainsi dans la peur de vieillir (matérialisé ici par le maquillage outré du bras droit vieillissant d’Hoover, presque un masque mortuaire), peur de voir disparaître son âge d'or et être soudainement dépassé, peur de la solitude : des angoisses qui ne sont pas propres à un directeur du FBI mais qui le rende proche du spectateur sans jamais lui être sympathique
Cette juste distance est favorisée par le jeu enfiévré de Léonardo DiCaprio qui n’imite pas Hoover, ne cherche ni à le sauver, ni à l’enfoncer mais explore ses failles : homosexuel refoulé, vivant sous le regard de sa mère presque comme le Norman Bates de « Psychose », coupé du monde qu’il prétend dominer. Plus que la puissance ou la haine, c’est la douleur que fait ressortir Di Caprio …
Tout comme les légendes de l’Ouest d’Impitoyable n’étaient en fait que de vulgaires assassins, le « diable » qui fit régner sa loi sur la plus grande puissance du monde était un petit homme pathétiquement humain : la légende est un mensonge, grand thème Eastwoodien
La question de savoir si l’inspecteur Harry est un auteur ne se pose heureusement plus, mais on est impressionné par la façon dont il a travestit le genre pour tirer à lui le biopic attendue :
Comme dans « Mémoire de nos pères » des évènements filmés comme des faits dans un premier temps, seront contredits par la suite.
Ce Hoover est ambigu comme pouvait l'être le GI raciste et réac de Gran Torino, son réalisateur étant décidément plus convaincant dans la description des salauds et dans l'ambiguïté que dans les bons sentiments (Invictus, Au-delà).

Jérémy Sibony

mercredi 4 janvier 2012

Take Shelter

Réalisé par Jeff Nichols - Avec Michael Shannon, Jessica Chastain, Toya Stewart,Shea Whigham - 2h00 - Etats Unis

La catastrophe arrive, qui balaiera tout sur son passage : son foyer, sa famille, sa place dans cette société bien ordonnée.
Modèle de réussite à l’américaine (bon job, belle maison, belle femme), le héros de Take Shelter se retrouve piégé dans des cauchemars apocalyptiques : une tornade arrive qui emportera tout.
Il ne vivra plus que dans l’attente de l’apocalypse, jusqu’à la folie, jusqu’à ce que rongé par la peur il commence à se détruire lui et ce qu’il a bâti.
Après son coup d’essai réussi : « Shotgun Stories », Jeff Nichols quitte l’Arkansas mais continue à explorer l’Amérique profonde, ses petites villes, son quotidien : en Ohio cette fois ci.
Si on peut penser à Terence Malick (Les moissons du ciel) et Steven Spielberg (Rencontre du 3eme type), Jeff Nichols possède déjà sa patte, son univers. Un regard sur de braves gens, qui ne rêvent que de normalité, que d’une petite vie tranquille. De ces anonymes que l’on qualifie avec une once de mépris « américain moyen » et que l’on retrouve dans les chansons de Bruce Springsteen.
Mais entre l’image d’une vie ordinaire et la réalité se trouve toujours un grain de sable : la violence absurde dans « Shotgun Stories » et la peur dans « Take Shelter ».

Sublime portrait d'une Amérique paranoïaque, d’une Amérique qui a cessé de croire en sa toute puissance, terrorisée à l’idée de voir disparaître la légende qu’elle a forgée. "Take Shelter" est l’œuvre magistrale d'un cinéaste qui maîtrise tout: de l'image Malickienne d'une nature à la fois superbe et menaçante, à un scénario malin qui fait rentrer le spectateur dans la folie de son héros.
Il regarde, inquiet, vers l’horizon dans l’attente d’une catastrophe extérieure et ne réalise pas qu’il déchaîne lui-même cette tempête destructrice pour son univers. Héros justement, interprété par un acteur sous estimé: Michael Shannon, inquiétant et fragile. Ce n'est pas la première fois qu’il nous bouleverse: dans le médiocre "Noces rebelles" de Sam Mendes il illuminait le film dans le rôle d'un malade mental ne pouvant se retenir de dire ce qu'il pense. Dans "Bugs" de William Friedkin il composait un paranoïaque se mutilant. Il y a du Christopher Walken chez cet acteur qui devient incontournable. Habitué des rôles de malades, fous ordinaires trop fragile pour supporter le monde et donc à qui il est facile de nous identifier.
Folie ? Paranoïa ? Ou vision prophétique d’un monde qui file à sa perte ?

Le film peut être vu comme le prologue d’un récit post apocalyptique comme « La Route » de Cormac Mc Carthy. Le cinéma de Nichols possède d’ailleurs ce laconisme, cette économie de moyens qui le rend plus effrayant encore.
Il peut tout à la fois être regardé comme la descente aux enfers d’un homme ordinaire, qui entraînera dans sa folie sa famille.

« Take Shelter » maintient le doute. Le spectateur est maintenu dans l’incertitude, il peut lui aussi voir dans ces cauchemars des rêves prophétiques.
Plus le film avance, plus Jeff Nichols semble confondre sur le même plan séquences de cauchemars et scènes de la vie « réelle ».

On pourra lui reprocher de botter en touche en maintenant le doute, au terme d’un final somptueux et frustrant, mais « Take Shelter » prend alors toute sa dimension : un grand film sur le doute, sur l’attente, sur la peur…

Le spectateur peut regarder le héros comme un fou ou comme un prophète, mais lui aussi attend la tempête. Nous aussi regardons vers l’horizon dans l’attente inquiète de quelque chose qui viendra nécessairement.

Jérémy Sibony