mercredi 30 janvier 2008

Promets moi

Réalisé par : Emir KusturicaAvec : Marija Petronijevic, Uros MilovanovicSerbie, 2H06 Titre Original : (Zavet)

Voilà, ça devait arriver, Kusturica s'est planté.Et le cinéma de l'ami Kustu n'ayant jamais fait dans la demi-mesure, le plantage est d'ampleur. Boursouflé, fatiguant, politiquement idiot "Promets-moi" a versé dans le ravin qui menaçait le cinéma de funambule d'Emir Kusturica.

Les excès réjouissant de "Chat noir chat blanc" ou de "La vie est miracle", deux autres fables lumineuses auxquelles "Promets-moi" semblerait devoir se rattacher, ne passe plus. La faute à un scénario paresseux, des acteurs qui nous fatiguent (pour qui se souvient de Miki Manojlovic dans Underground, le voir là est une torture), le cirque Kusturikien vire au numéro stéréotypé. Le cinéaste semble se parodier lui-même, assénant sa vision politique caricaturale d'un homme que les doutes n'assaillent plus et qui en devient hargneux.
On regrette d'autant plus le cinéaste politiquement incorrect de "La vie est un miracle"
Retranché dans son village, Emir Kusturica inquiète, chaque scène du film ne semble avoir pour seul but que de nous dire "regardez comme j'emmerde les blockbusters", d'autant plus stérile, que toute l'oeuvre de cette immense cinéaste était déjà un acte de résistance à un certain cinéma. On regarde "Promets-moi" comme on visite un ami malade : par amitié mais en espérant que ça lui passe très vite. On a besoin du vrai Emir Kusturica, pas de sa caricature..

Jérémy Sibony

Cortex

Réalisé par : Nicolas BoukhriefAvec : André Dussollier, Marthe KellerFrance, 1H45---------------------------


De ce groupe de jeunes cinéastes ayant émergé dans les années 90 pour révolutionner (hem...) le cinéma français, Nicolas Boukhrief est sans doute le plus discret, mais pas le moins intéressant.
Ses films ne sont en général pas tout à fait à la hauteur de leur ambition, mais au moins sont-ils ambitieux. Il en est ainsi pour ce "Cortex" frappé du sceau Boukhrief frustrant mais recommandable.

Boukhrief, cinéphile éclectique a toujours aimé mélanger les genres, brouiller les pistes : longtemps après le générique final, on ne sait toujours pas si "Cortex" est un polar avec la maladie d'Alzheimer comme toile de fond, ou s'il s'agit d'un des rares films sur cette maladie qui prendrait comme prétexte un polar.Il est heureux pour les rares lecteurs de ces lignes que je ne puisse pas y répondre, ce serait vous dévoiler le film. Plus que l'intrigue, il faudra donc s'appuyer sur l'atmosphère trouble qui baigne "Cortex".
L'incertitude dans laquelle nous maintient le cinéaste rend d'autant plus insupportable la maladie de son personnage principal : André Dussolier, bouleversant et dangereux dans le rôle de ce flic (surnommé Cortex) à la retraite errant dans les limbes d'Alzheimer."Cortex" fait évoluer côte à côte son héros et les spectateurs dans le No man's land de l'intrigue : film sur alzheimer ? polar ? Jouant avec le spectateur des années 2000, c'est à dire celui qui se croit plus malin que le cinéaste depuis qu'il a vu "sixième sens" ou "Les autres".
Boukhrief, tant qu'il choisit de ne pas choisir, ne tend aucune perche au spectateur. Réduit comme Cortex à décoder ce qu'il croit être des indices de façon totalement aléatoire.Hormis dans le film de Sarah Polley "Loin d'elle", on n'a pas souvenir d'avoir vu si bien décrite la lente déchéance des malades d'Alzheimer. Dussolier semble lâcher prise avec la réalité, s'enfonçant dans l'oubli, la paranoïa, la solitude. Flic ne supportant pas de ne plus rien contrôler, d'être infantilisé et essayant de surnager. Le regard absent, cherchant à retrouver un fil, à s'accrocher : André Dussolier, sobre et précis, trouve un de ses grand rôles. On saura gré à Boukrief de nous avoir donné ce plaisir.Hélas, comme toujours chez ce réalisateur, le plaisir d'étaler son savoir faire visuel, la grande angoisse des cinéastes de cette génération là étant de "faire français", gâche un peu le plaisir.
Les plans, très beaux, sont si travaillés qu'ils semblent vouloir masquer les ficelles scénaristiques qui permettent à Boukrief de tenir la note. Le film tient quand onirisme et réalité sont maintenus à même distance. Trop soucieux de faire de l'image, Boukrhief en arrive à sacrifier l'un pour son seul plaisir visuel. On retrouve là ce qui agaçait dans cette génération de cinéastes nourris au clip : mise en scène et scénario semblent évoluer indépendamment l'un de l'autre. Comme si le réalisateur et le scénariste étaient deux personnes différentes. La schizophrénie du cinéaste aurait parfaitement pu servir leur film mais il aurait fallu plus de finesse, plus de subtilité : avoir le courage de "tenir la note", ce que fait Dussolier mais seul.
Les seconds rôles se veulent si mystérieux qu'ils en deviennent factices : sourires en coin, regards qui en disent long, phrases significatives : le scénario patine et perd son temps dès qu'il s'éloigne de Cortex.Boukhrief, n'a pas osé faire le film qui ne serait qu'une projection mentale de son héros. On sent bien que c'est ce qu'il désirait, mais il se croit obligé de choisir, de donner une direction précise à son film.
C'est regrettable : le monde ouaté et opaque qu'il mettait en scène se dévoile. Peu importe alors la fin choisie...

Jérémy Sibony

mercredi 23 janvier 2008

No Country for old Men

Réalisé par : Joel Coen Avec : Tommy Lee Jones, Javier Bardem, Josh Brolin Etats-Unis, 2H02

Mama, take this badge off of meI can't use it anymore.It's gettin' dark, too dark for me to seeI feel like I'm knockin' on heaven's door(Bob Dylan)

La flic naïve de Fargo ne comprenait pas comment on pouvait tuer pour de l'argent.. Le vieux shérif de "No country for old men", comprend qu'il n'y a plus rien à comprendre, que son monde n'existe plus, qu'il a laissé place à la rage, à la folie meurtrière, et que les hommes ne tuent plus que pour l'argent, mais parce que c'est la mission que le diable ou n'importe qui avec de l'argent leur a assignée.

En adaptant le roman homonyme de Cormac MacCarthy, les frères Coen ont trouvé un vieil oncle dont la rencontre était une évidence : des routes, des morts, l'ironie cruelle qui conduit leurs héros à systématiquement choisir le mauvais chemin et courir à leur perte.
Du roman de Cormac MacCarthy, les frères Coen ont ainsi presque tout gardé tant les univers étaient proches, en y ajoutant leur sens de l'absurde, mais épurant leur mise en scène de presque tout mouvement de caméra : emprisonnant ainsi leurs personnages dans les paysages du Texas. La plaine enneigée de Fargo a laissé place au désert et à des villes perdues. Mais là où le Minnesota accouchait de petite frappe à la bêtise criminelle, le désert brûlant voit surgir le diable (ou une punition divine,ou plus surement, la preuve que dieu n'existe pas.... au choix) ; ce Chigurgh, incarnation de la violence qui régnera désormais sur cette terre.
Coupe de cheveux improbable, jean serré, sourire imbécile : le visage du diable selon les frères Coen et leur interprète Javier Bardem qui rentre, dans ce pantalon étriqué, dans la grande histoire des psychopathes du cinéma. Face à lui, Moss, héros malheureux qui entraîne avec lui coupables et innocents, également victimes du châtiment absurde.
Que peut y faire un vieil homme, ce shérif d'un autre temps à qui Tommy Lee Jones prête son visage marqué et le regard impuissant de celui qui ne peut plus que compter les morts ?
Semblant faire partie du paysage, faisant de chacune de ces rides une histoire, Tommy Lee Jones parfait en héros de western fatigué : Kirk Douglas, Henry Fonda : ce monde n'est pas pour vous. Le bien et le mal sont des notions dépassées, si tant est qu'elles ont jamais existé, mais le Texas était peut-être le dernier endroit où on voulait y croire : les gentils châtiaient les méchants, protégeaient la veuve... Les chevaux ont été remplacés par des 4X4, pratiques pour traverser la frontière, chargés de drogue. Ce pays n'est plus pour le vieil homme... Si tant est que ce pays ait jamais existé.Réalisant leur meilleur film depuis Fargo, les frères Coen, retrouvent dans le monde en décomposition de Cormac MacCarthy la grâce qui les avait quittés. Ils y trouvent aussi une noirceur qui frise le nihilisme : la dernière scène, ce rêve qu'on rendra à Cormac MacCarthy et Tommy Lee Jones, ouvre un abyme...
Notre monde.

Jérémy Sibony

mercredi 9 janvier 2008

Garage

Réalisé par : Lenny AbrahamsonAvec : Pat Shortt, Conor Ryan, Anne-Marie Duff Irlande, 1H30---------------------------

Très remarqué lors de son passage à Cannes, "Garage" donne des nouvelles du cinéma Irlandais, et disons le tout de suite, elles sont plutôt bonnes. Lenny Abrahamson sait raconter simplement l'histoire compliquée d'un homme simple.
Josie, gros bonhomme lourdaud au QI limité, tient la station service d'un village de la campagne Irlandaise. Sa naïveté touche ou agace, son patron profite de lui et son intelligence semble en parfaite harmonie avec le rythme de vie locale. Sympathique jusqu'à en être énervant, considéré comme un meuble du village, Josie est un homme seul, cherchant maladroitement à se raccrocher aux autres : des piliers de comptoir d'un bar qui le méprisent ou l'humilient, une femme qui repousse ses avances, un cheval à qui on "interdira" même de le fréquenter et un jeune, lui aussi assez perdu, qui lui sert d'aide au garage. Jamais détesté, même plutôt aimé, Josie n'est accepté nul part. Si le village semble vivre loin du monde, Josie vit en périphérie du monde, découvre la sexualité par des cassettes pornos abjectes et ridicules.

Lenny Abrahmson a eu la bonne idée de choisir une star de la comédie Irlandaise : Pat Shortt qui donne à Josie son corps trop lourd à accepter pour les autres et ne cherche pas à en faire un Forrest Gump porteur d'une sagesse ou d'une pureté quelconque."Garage" fait l'économie d'effets larmoyants qui auraient pollué le film. Il semble évoluer à la mesure de ce village, au risque de se perdre et de patiner au milieu du film, avant que le drame se noue insidieusement, de façon dérisoire mais fatale.La vie de Josie basculera pour une stupidité, une maladresse d'ado atardé. Son lien au monde ne tenant qu'à un mince fil, menace de se rompre.Le joli portrait d'un marginal dans un village perdu s'estompe au profit d'un récit plus grave qui était vraiment le coeur film. Mais il est trop tard...

La violence latente de "Garage" était bien présente tout au long du film, ce que le calme du paysage Irlandais et le sourire de Josie avaient jusque là caché.L'existence simple de cet homme simple n'était pas dérisoire, ce "petit" film non plus.

Jérémy Sibony

L'ïle

Réalisé par : Pavel Lounguine Avec : Piotr Mamonov, Viktor Soukhoroukov Russie, 1H52


Pavel Louguine, cinéaste brillant, agité et un peu sous-estimé fait payer au spectateur le peu d'intérêt que les spectateurs ont accordé à ses précédents films pourtant très réussis.
Les Inrocks/les Cahiers/Libé le snobent depuis le succès de Taxi Blues, Louguine ne bénéficie pas de la carte, c'est dur pour un cinéaste russe. Pour y remédier, il semble avoir décidé de faire dans le "contemplatif" chiant et symbolique. Au lieu de la folie, de la vie, de la violence de ses derniers films, Louguine nous inflige une caricature du cinéma russe.L'Île siffle l'hymne national Russe à chaque plan : rédemption, sainteté : le héros du film se voudrait un starets Dostoïvskien, les plans, assez beaux, fatiguent vite par leur symbolisme insistant.
On cherche en vain l'émotion, le choc esthétique auquel on pourrait se raccrocher, et on s'ennuie ferme, ce qui, dans un film de Lounguine est un comble.En s'éloignant de son style habituel, le réalisateur tentait un pari : c'est raté, malgré les belles images pieuses, et le plaisir de retrouver Piotr Mamonov, le saxophoniste de Taxi Blues, qui seul maintient le spectateur en éveil.
On attend donc le prochain Lounguine, plus Louguinien ou avec un profil de l'oeuvre qui permettra au spectateur de mesurer combien tout ça est intelligent et significatif, ce dont on ne doutait pas une seconde, mais qui nous emmerde profondément.

Jérémy Sibony

mercredi 2 janvier 2008

Shotgun Stories

Réalisé par : Jeff NicholsAvec : Michael Shannon, Douglas Ligon, Barlow JacobsEtats-Unis, 1H32

L'Arkansas, deux fratries issues du même père ; le père meurt, les règlements de comptes sont alors inévitables.
Pour un premier film, réalisé avec des bouts de ficelles, Jeff Nichols, natif de cet Arkansas où des petites villes meurent d'ennui dans une lumière et des paysages magnifiques, Nichols fait preuve d'une grande maîtrise du récit : un art de l'éllipse, sûrement encouragé par le manque d'argent mais terriblement efficace.
La mise en scène, impeccable, s'attarde sur des moments anodins, des gestes qui sont la vie de cette ville perdue et de ses habitants.La beauté du film tient autant dans la lumière de cet Arkansas d'un autre temps que dans les personnages complexes et attachants auxquels les acteurs inconnus (Douglas Ligon, lâche, faible et magnifique) ou connus (Michael Shannon, déjà applaudi dans "Bugs" ) donnent une épaisseur si éloignée de la caricature du "redneck".
Ce Western qui reprend les thèmes habituels : la petite ville, la fratrie, la vengeance, séduit par sa capacité à être là où on ne l'attend pas : une partie de pêche, un terrain de Basket... Alors même que la tragédie shakespearienne se noue.Il y aura du sang, des morts, de la tristesse, de l'espoir aussi...Et le temps passe qui oublie Shakespeare en Arkansas.
La lumière reste la même, l'ennui et la pauvreté aussi. Jeff Nichols, qui devient dès ce premier film un cinéaste de premier plan, s'attarde sur les êtres, leurs drames anonymes, leurs luttes absurdes, leurs minces victoires : c'est ainsi que les hommes survivent, en Arkansas comme ailleurs.

Jeremy Sibony