jeudi 2 octobre 2008

Le Premier venu

Réalisé par : Jacques DoillonAvec : Clémentine Beaugrand, Gérald ThomassinFrance, 2H- France-

"Quand on perd son chemin, on commence à trouver sa voie". C'est avec ce genre de phrases débiles de gourou pour ados que commence, mal, "Le Premier Venu" dernier film de Jacques Doillon, qui, comme les précédents, flirtent dangereusement avec la philosophie facile de son café du commerce libertaire.

Il a été décidé que ce qu'on ne pardonnerait pas à Claude Lelouch : situations forcées ponctuées de sentences définitives serait célébré chez Jacques Doillon, depuis qu'il a réalisé "l'An 01", bible du carré magique "Cahierlibéilemondeetlesinrocks".
Sauf que "L'An 01", utopie déprimante reste son meilleur film, et que le début du "Premier Venu" alterne entre le niais et le dégueulasse.
Une jeune fille s'est faite violée par ce premier venu qu'elle a fait venir chez elle sans trop savoir pourquoi. Elle le suit jusqu'à chez lui sous le charme de ce mauvais garçon (les filles veulent le changer, les hommes lui ressembler: c'est Fonzie).Elle va s'efforcer d'aimer ce "Premier Venu": car "si c'est un pauvre type, moi je suis une pauvre fille." Et il faut bien du talent à la débutante Clémentine Beaugrand pour que cette autre répartie Lelouchienne ne provoque pas le fou rire.Claude Lelouch au dialogue, Michel Zevacco au scénario, ça part assez mal.Doillon, utopiste, va donc s'acharner à enfoncer une grosse porte ouverte. Non les mauvais garçons ne sont pas totalement mauvais, oui, il y a à l'intérieur un coeur qui bat.La logique "Crousti bat/Capitaine igloo": pané dehors et poisson tendre dedans, grand classique du cinéma de Jacques Doillon qui prend des grands airs de philosophes utopistes pour dire ce que même le dernier des Sarkozyens savait déjà.
Cinéaste inoffensif qui se rêve subversif, Doillon achève le spectateur par une critique du Bescherelle... Si, si, cette saloperie de langue française petite bourgeoise, qui fait qu'on passe du verbe être, au verbe se méfier, juste avant aimer... (renseignements pris, c'est vrai)Vous vous rendez compte : se méfier avant aimer.Putain de société...Heureusement, Doillon prend un chemin de traverse, et tend vers le marivaudage sous fond de kidnapping ou de racket. Il y est bien plus à l'aise. Interprété par Gerald Thomassin, le héros du "Petit Criminel", dont "Le Premier Venu" pourrait être la suite, le voyou est plus ridicule que menaçant.
La jeune fille tire evidemment les ficelles, en incluant dans le jeu un jeune flic amoureux d'elle, Guillaume Saurrel, qui semble aussi peu fait pour la police que Thomassin pour le crime. Doillon est définitivement plus à l'aise dans ces jeux de l'amour. Ce petit criminel est aussi paumé que l'autre. Il n'est clairement pas fait pour le crime.
Le film se clôt de façon légère et positive, tout ceci n'était qu'un jeu, une utopie d'un monde romantique où l'autre ne serait plus une menace ou un objet de compassion, mais un être à découvrir.Les acteurs sont suffisamment bons, comme souvent chez Doillon, pour qu'on ait envie de les suivre.

La deuxième partie du film réussirait presque à sauver l'ensemble si on n'avait pas eu droit à la lourdeur de la pensée Doillonienne infligée dans ses dialogues et son point de départ avec un sérieux qui contraste avec le ton du film.
Surtout, le film aurait été défendable, si la facilité avec lequel Doillon évoque le viol comme une simple péripétie sentimentale ne disqualifiait pas le reste du propos.

Jérémy Sibony

mercredi 21 mai 2008

Un conte de noël

Réalisé par : Arnaud Desplechin Avec : Catherine Deneuve, Jean-Paul RoussillonFrance, 2H30---------------------------

Il est risible d'écrire sur le cinéma.
Risible de penser qu’une «critique» surtout sur un blog amateur comme celui-ci puisse infléchir une pensée.Un bon critique, c’est quelqu’un qui est de votre avis, un très bon critique, c’est quelqu’un qui est de votre avis sur un film qu’on n'a pas été voir et qui justifie ainsi le choix de voir Indiana Jones IV plutôt que Un Conte de noël .
Desplechin est considéré comme un cinéaste chiant, il est même le chef de file du « cinéma intello », sorte de négatif de Luc Besson petit pape du cinéma « comme les américains mais en France » réalisateur et producteur de films où la caméra gigote... Voilà un nouveau cliché stupide… Il y a plus de force, plus d’énergie, plus de vitalité dans ce conte de noël que dans tous ces films là.

Desplechin est sûrement un intello (et il serait bon que la sarkonisation des esprits n’en fasse pas une insulte), c’est surtout un réalisateur brillant qui fait de cette réunion de famille une apologie du déséquilibre et de la rupture. S’ouvrant sur le récit de la mort d’un enfant, se fermant sur un sourire, Arnaud Desplechin tente le coup d’état permanent : contre les conventions du cinéma qui devraient régir ce film, contre l’idée qui voudrait que filmer la maladie ou la mort produit des œuvres chiantes.On a vu tant de films sur la vie qui sentaient les chrysanthèmes, comment ne pas se réjouir de voir que d’une mort puisse naître un film aussi vivant.
La famille vue par (ou de ?) Desplechin, est en perpétuelle règlements de comptes : Junon, la mère indigne (quand comprendra-t-on que Catherine Deneuve est une des actrices les plus audacieuses) qui avoue n’aimer que l’ainée et mépriser ouvertement le cadet, Henri : Matthieu Amalric, imprévisible et fragile, lui-même « banni » de la famille par la sœur ainée, sans que l’on puisse vraiment en connaître les véritables raisons. Le fils maudit, à nouveau convoqué pour cette réunion de famille, car compatible pour la greffe de moelle qui sauverait peut-être la vie de Junon.
Et là, on fait simple : tous les membres de la famille sont liés les uns aux autres par des secrets, des rancoeurs, une complicité aussi. Cette tribu iconoclaste, où l'on réclame aux enfants de rembourser la vie donnée, où une sœur peut obtenir l’exclusion de son frère de la famille. Mais la tribu ne sombre jamais dans l’ignoble. Cruelle et fragile, cette famille dysfonctionnelle n’en est pas moins unie, par la haine ou le ressentiment autant que par l’amour : on ne sait pas,Desplechin ne choisit pas. Que l’on essaye d’élaborer une fonction mathématique sur l’espérance d’une vie ou que la colère d’Henri explose, peu importe : le « conte », c’est que cette famille soit réunie, comme dans la Famille Tenenbaum de Wes Anderson, la « morale » n’est pas une vertu.
Les séquences se heurtent, drôles ou aux accents de tragédies grecques : émouvantes et pathétiques. Le cinéaste sur un sujet qui aurait pu paraître vain, maintient une tension dans chaque scène qui menace de faire imploser le foyer ou ce qu’il en reste.Caméra à l’épaule, lumière chaude de l’intérieur qui contraste avec la blancheur de l'extérieur, Desplechin trouve une fluidité dans la mise en scène qu’on ne lui connaissait pas. La mort et la maladie semblent maintenir la famille en vie, en agitation perpétuelle : à la tristesse, Desplechin préfère le bordel. La maison « hantée » (par un croquemitaine pour enfant ou par le fantôme de Joseph) .
Les pièces semblent autant de métastases : disputes, bagarres mais aussi discussions et retrouvailles. Comme le corps de Junon, la greffe d’Henri peut sauver la famille ou l’achever. Henri peut même essayer de s’enfuir par la fenêtre, il ne franchit pas le seuil de la maison : l’exclu est maintenant trop précieux, mais ce conte de noël n’est pas du tout cynique.

Là où Ozon échouait dans son jeu de massacre familial avec Sitcom , Un conte de noël évite les stéréotypes là ou Ozon sombrait dans la caricature.Le spectateur est sans cesse bousculé, dérangé. Les personnages ne sont pas tant des étrangers pour les autres que pour eux mêmes. Entre les deux grands malades que sont Junon et Henri, les personnages, en apparence plus raisonnables, cachent, mal, leurs secrets, leur difficulté à trouver leur véritable place dans cette sarabande infernale et comique.Ce que le cinéaste traduit fort bien en maintenant ce déséquilibre, le spectateur semble ainsi découvrir les actions et réactions des personnages en même temps qu’eux.
Cette liberté des personnages, liberté de dire ce qu’ils veulent même si cela blesse le voisin ou heurte la morale, est d'abord celle de la mise en scène : être toujours là où on ne l’attend pas, laisser le plan durer quand on croit que la scène est jouée, refuser les passages obligés du "drame familial". Ils sont rares les films où l'on ressent un tel bonheur de filmer du réalisateur, scrutant des personnages et des âmes toujours en mouvement.
Suivant l'être qui cherche sa place : être un bon fils ou le mouton noir, refuser d’être une bonne mère, refuser d’être une belle-fille idéale, ou regretter de n'être qu’un cousin et d’être passé à côté de la femme réservée à l'un des frères.Junon a bouleversé l'ordre des choses en refusant de suivre le code de la mère idéale. La mort de Joseph qui impliqua la procréation du dernier née Ivan, dans le seul but de lui fournir de la moëlle osseuse compatible (aveu terrifiant que Desplechin « expédie » avec un naturel glaçant) acheva de fonder les bases de cette famille sur les ruines de l’ordre naturel, pour faire des Vuillard des étrangers dans Roubaix. Retranchés dans leur maison comme les cow boys de Rio Bravo … Seul l'amour bienveillant que se portent Abel et Junon reste une référence. Chacun est donc en représentation, se donne en spectacle : comme l'était la troupe d'acteurs du Septième sceau qui feintait d'autant mieux la mort.

Dans ce cinéma que certains voudraient balayer en le qualifiant « d’intello » rien n’est figé, rien n’est définitif : tout travail, tout avance : les pensées, les conflits, la maladie, les corps. Le dénouement restera en suspens : une pause (deux pauses en fait), qui laissent deviner que la représentation continuera : Henri jouera encore avec la vie de sa mère, pirouette finale où peuvent se lire la vengeance enfantine d’un fils comme le désir de jouer, de s’amuser, au dépens apparent de la mère mais d'un jeu qui ridiculise la maladie.

De ce film malpoli, agité sombre et incroyablement dense surgit alors un dernier sourire, apaisé…ou peut-être pas, peut-être est-ce juste une pause dans la sarabande.Virtuose, le cinéma d'Arnaud Desplechin n'a jamais paru aussi libre et le spectateur aussi vivant..

Jeremy Sibony

mercredi 27 février 2008

There Will Be Blood

Réalisé par : Paul Thomas Anderson - Avec : Daniel Day-Lewis, Paul Dano, Dillon FreasierEtats-Unis, 2H38

Creuser la terre, creuser l'Amérique, tracer les contours d'un nouveau pays, où Dieu, ayant visiblement échoué, est viré, dégagé, pour que naisse un nouvel empire, celui des hommes, de la fortune, de l'argent, de la force.

Les premières minutes du film, sans paroles, sont les premières lueurs de l'aube d'une nouvelle ère ; le souffle, la douleur, le bruit de la pierre qu'on brise, du sol qu'on creuse, du pétrole qui jaillit, d'un pays qui naît du tréfonds de ce qui fut "le nouveau monde"."There will be blood", film monstre de Paul Thomas Anderson est, comme son héros, un film qui semble sortir de terre.
Paysages désolés, habitants fantômes, faux prophètes. Il n'y a déjà plus d'Amérique.Daniel Plainview va fonder son empire sur ces ruines : dans la sueur et le sang.Dieu terrible sorti de l'enfer pour fonder le nouveau rêve américain : monomaniaque, le gain, le pouvoir même plus que la fortune.

A l'énergie qu'il déploie correspond celle du film. La splendeur de la mise en scène, frappe, heurte le spectateur.On le sent dès le premier plan. Le désert sous fond de musique d'horreur : le lieu du crime, la beauté a un prix.Paul Thomas Anderson donne à chaque plan une intensité, une puissance, qui marque physiquement le spectateur : on ne sort indemne d'aucune scène. Le baptême de Plainview, les prières outrées du prédicateur, un puits de pétrole en feu comme une explosion de cette violence sourde qui est le fil conducteur du film.La beauté inquiétante de la photographie, les plans séquences qui semblent chercher le point de rupture, le jeu de Daniel Day Lewis, effrayant dans son jusqu'au boutisme, dans ses silences, alors qu'il est le centre névralgique du film, Daniel Day Lewis en fait un être opaque. Le cinéaste trouve dans son regard, dans sa silhouette, ce volcan dont le calme apparent est un grondement....

Un monde s'écroule, mais l'ouest est tout aussi sauvage. La parole laisse place au silence. Dieu, en tout cas ses prophètes si ambigus (Paul Dano véritablement flippant) n'ont qu'à s'incliner ; le capitalisme renversera tout sur son passage : Dieu, la famille, la communauté, les pionniers, le mensonge du nouveau monde.La violence de l'ouest américain y puisera un nouveau moyen d'expression. La folie et la rage trouveront leur accomplissement dans les grandes demeures des nouvelles dynasties. Mais, comme tout "héros de l'ouest", ambiguë et les mains tâchées, la solitude sera au bout de la route."There will be blood" est l'expression d'un esprit malade, dévastateur.Un film gigantesque, silencieux et hystérique.

Cette cohabitation de l'âpre et du lyrique donne une oeuvre magistrale, l'oeuvre d'un maître donc où Paul Thomas Anderson rejoint Kubrick, Mallick ou Ford. Stupéfait, le spectateur ne peut que contempler la noirceur et la solitude de l'âme humaine, en se demandant si la terre, le sable, les cailloux n'ont pas accouché d'un homme à leur image.Fascinant, impénétrable, impitoyable... De nouveaux conquérants, un nouveau monde, la sauvagerie...

Jérémy Sibony

mercredi 13 février 2008

Peur(s) du noir

Réalisé par : Blutch, Charles Burns, Marie CaillouAvec : Aure Atika, Arthur H., François CretonFrance, 1H25---------------------------

Film d'animation "Peur(s) du noir" est composé de six courts-métrages ayant pour thème la peur, et pour charte graphique l'utilisation d'une palette chromatique réduite au noir et blanc, avec une touche de gris pour donner un air de fête.Les courts métrages oscillent entre l'ennui et l'insupportable.

Aucun des films ne provoque un sentiment proche de la peur, aucune phobie n'est illustrée d'une façon suffisamment inventive ou originale pour que l'on y prête une véritable attention. Au mieux, ça ressemble à du sous Foerster, au pire on a le droit aux considérations bobos les plus stupides, à travers la voix de Nicole Garcia, tandis que défilent des formes psychédéliques : les propos de ce court métrage parsemés entre les différents films sont d'une bêtise insondable.Le parti pris esthétique de chacun de ces courts métrages semble avoir monopolisé les attentions des cinéastes qui patinent très vite dès qu'il s'agit du récit.
Passé l'intérêt que l'on portera ou non au graphisme, aucun scénario ne tient sur la longueur.On aurait aimé qu'un des courts fassent ressortir une de nos peurs d'enfants, une phobie ancienne, mais les cinéastes échouent tous à présenter autre chose qu'un étalage de leurs compétences graphiques, sûrement indéniables, mais qui excluent les non initiés.
Néanmoins l'emballement général de la critique sur ce film restant un mystère, les éventuels lecteurs de ces lignes qui auraient apprécié le film seraient sympas de venir éclairer notre lanterne.

Jérémy Sibony

mercredi 6 février 2008

Le Bannissement

Réalisé par : Andrei Zviaguintsev Avec : Konstantin Lavronenko, Maria BonnevieRussie, 2H30Titre Original : (Izgnanie)


Tarkovski, forcément..
Andreï Zviagintsev, attendu au tournant depuis son premier film Lion d'or à Venise (le Retour), ne cherche même pas à s'en défendre. Les premières images d'une voiture roulant dans une ville inconnue rappellent Solaris. Le film met donc 20 bonnes minutes à se défaire de l'ombre Tarkovskienne.
Enfin, on dit Tarkovski parce qu'on n'y connaît pas grand chose à cette fameuse "âme russe" : Dostoïevski bien sûr, Tolstoï aussi : les limites de la critique, si un russe a la bonne idée de lire ces lignes...Toujours est-il que c'est à l'arrivée dans leur retraite de campagne (Tchekhov ? Sauf que non, ça ne marche pas à tous les coups), que le film commence. Que fuit cette famille ? Pourquoi quitter la ville et aller chercher un travail ailleurs : on ne le saura jamais, et c'est très bien comme ça.
On pourrait penser à une planque en attendant la fin du monde (Le Sacrifice ? Tarkovski on vous a dit). Mais les signes sont là : la maison est au pied d'une très jolie colline, mais c'est raté pour le remake de "La petite maison dans la prairie", vu que la maison est aussi au bord d'un ravin que traverse un fragile pont de bois. C'est une des très bonnes idées : on approche du gouffre lorsque la femme annonce qu'elle est enceinte et que le mari n'est pas le père. Zviagintsev emballe alors son film : le calme apparent fait redouter le pire, comme la silhouette tout à la fois rassurante et menaçante du mari, interprété très physiquement par Konstantin Lavronenko (prix d'interprétation à Cannes, jeu très intérieur, ce qui rend d'autant plus touchantes et effrayantes ses réactions). Le film cesse vite de se reposer sur sa beauté formelle indéniable, mais qui aurait pu virer au BMC (beau mais chiant) si le récit ne se faisait pas plus intense.
La deuxième partie du film bouleverse. On oublie un peu Tarkovski au profit d'Andreï Zviagintsev et on sort du film ému, en se croyant incroyablement intelligent et incroyablement cinéphile pour ne pas s'être emmerdé et avoir été marqué par la dernière scène, lourde de symbole sûrement, mais surtout poignante, derniers instants de répit avant la catastrophe.

Jérémy Sibony

mercredi 30 janvier 2008

Promets moi

Réalisé par : Emir KusturicaAvec : Marija Petronijevic, Uros MilovanovicSerbie, 2H06 Titre Original : (Zavet)

Voilà, ça devait arriver, Kusturica s'est planté.Et le cinéma de l'ami Kustu n'ayant jamais fait dans la demi-mesure, le plantage est d'ampleur. Boursouflé, fatiguant, politiquement idiot "Promets-moi" a versé dans le ravin qui menaçait le cinéma de funambule d'Emir Kusturica.

Les excès réjouissant de "Chat noir chat blanc" ou de "La vie est miracle", deux autres fables lumineuses auxquelles "Promets-moi" semblerait devoir se rattacher, ne passe plus. La faute à un scénario paresseux, des acteurs qui nous fatiguent (pour qui se souvient de Miki Manojlovic dans Underground, le voir là est une torture), le cirque Kusturikien vire au numéro stéréotypé. Le cinéaste semble se parodier lui-même, assénant sa vision politique caricaturale d'un homme que les doutes n'assaillent plus et qui en devient hargneux.
On regrette d'autant plus le cinéaste politiquement incorrect de "La vie est un miracle"
Retranché dans son village, Emir Kusturica inquiète, chaque scène du film ne semble avoir pour seul but que de nous dire "regardez comme j'emmerde les blockbusters", d'autant plus stérile, que toute l'oeuvre de cette immense cinéaste était déjà un acte de résistance à un certain cinéma. On regarde "Promets-moi" comme on visite un ami malade : par amitié mais en espérant que ça lui passe très vite. On a besoin du vrai Emir Kusturica, pas de sa caricature..

Jérémy Sibony

Cortex

Réalisé par : Nicolas BoukhriefAvec : André Dussollier, Marthe KellerFrance, 1H45---------------------------


De ce groupe de jeunes cinéastes ayant émergé dans les années 90 pour révolutionner (hem...) le cinéma français, Nicolas Boukhrief est sans doute le plus discret, mais pas le moins intéressant.
Ses films ne sont en général pas tout à fait à la hauteur de leur ambition, mais au moins sont-ils ambitieux. Il en est ainsi pour ce "Cortex" frappé du sceau Boukhrief frustrant mais recommandable.

Boukhrief, cinéphile éclectique a toujours aimé mélanger les genres, brouiller les pistes : longtemps après le générique final, on ne sait toujours pas si "Cortex" est un polar avec la maladie d'Alzheimer comme toile de fond, ou s'il s'agit d'un des rares films sur cette maladie qui prendrait comme prétexte un polar.Il est heureux pour les rares lecteurs de ces lignes que je ne puisse pas y répondre, ce serait vous dévoiler le film. Plus que l'intrigue, il faudra donc s'appuyer sur l'atmosphère trouble qui baigne "Cortex".
L'incertitude dans laquelle nous maintient le cinéaste rend d'autant plus insupportable la maladie de son personnage principal : André Dussolier, bouleversant et dangereux dans le rôle de ce flic (surnommé Cortex) à la retraite errant dans les limbes d'Alzheimer."Cortex" fait évoluer côte à côte son héros et les spectateurs dans le No man's land de l'intrigue : film sur alzheimer ? polar ? Jouant avec le spectateur des années 2000, c'est à dire celui qui se croit plus malin que le cinéaste depuis qu'il a vu "sixième sens" ou "Les autres".
Boukhrief, tant qu'il choisit de ne pas choisir, ne tend aucune perche au spectateur. Réduit comme Cortex à décoder ce qu'il croit être des indices de façon totalement aléatoire.Hormis dans le film de Sarah Polley "Loin d'elle", on n'a pas souvenir d'avoir vu si bien décrite la lente déchéance des malades d'Alzheimer. Dussolier semble lâcher prise avec la réalité, s'enfonçant dans l'oubli, la paranoïa, la solitude. Flic ne supportant pas de ne plus rien contrôler, d'être infantilisé et essayant de surnager. Le regard absent, cherchant à retrouver un fil, à s'accrocher : André Dussolier, sobre et précis, trouve un de ses grand rôles. On saura gré à Boukrief de nous avoir donné ce plaisir.Hélas, comme toujours chez ce réalisateur, le plaisir d'étaler son savoir faire visuel, la grande angoisse des cinéastes de cette génération là étant de "faire français", gâche un peu le plaisir.
Les plans, très beaux, sont si travaillés qu'ils semblent vouloir masquer les ficelles scénaristiques qui permettent à Boukrief de tenir la note. Le film tient quand onirisme et réalité sont maintenus à même distance. Trop soucieux de faire de l'image, Boukrhief en arrive à sacrifier l'un pour son seul plaisir visuel. On retrouve là ce qui agaçait dans cette génération de cinéastes nourris au clip : mise en scène et scénario semblent évoluer indépendamment l'un de l'autre. Comme si le réalisateur et le scénariste étaient deux personnes différentes. La schizophrénie du cinéaste aurait parfaitement pu servir leur film mais il aurait fallu plus de finesse, plus de subtilité : avoir le courage de "tenir la note", ce que fait Dussolier mais seul.
Les seconds rôles se veulent si mystérieux qu'ils en deviennent factices : sourires en coin, regards qui en disent long, phrases significatives : le scénario patine et perd son temps dès qu'il s'éloigne de Cortex.Boukhrief, n'a pas osé faire le film qui ne serait qu'une projection mentale de son héros. On sent bien que c'est ce qu'il désirait, mais il se croit obligé de choisir, de donner une direction précise à son film.
C'est regrettable : le monde ouaté et opaque qu'il mettait en scène se dévoile. Peu importe alors la fin choisie...

Jérémy Sibony

mercredi 23 janvier 2008

No Country for old Men

Réalisé par : Joel Coen Avec : Tommy Lee Jones, Javier Bardem, Josh Brolin Etats-Unis, 2H02

Mama, take this badge off of meI can't use it anymore.It's gettin' dark, too dark for me to seeI feel like I'm knockin' on heaven's door(Bob Dylan)

La flic naïve de Fargo ne comprenait pas comment on pouvait tuer pour de l'argent.. Le vieux shérif de "No country for old men", comprend qu'il n'y a plus rien à comprendre, que son monde n'existe plus, qu'il a laissé place à la rage, à la folie meurtrière, et que les hommes ne tuent plus que pour l'argent, mais parce que c'est la mission que le diable ou n'importe qui avec de l'argent leur a assignée.

En adaptant le roman homonyme de Cormac MacCarthy, les frères Coen ont trouvé un vieil oncle dont la rencontre était une évidence : des routes, des morts, l'ironie cruelle qui conduit leurs héros à systématiquement choisir le mauvais chemin et courir à leur perte.
Du roman de Cormac MacCarthy, les frères Coen ont ainsi presque tout gardé tant les univers étaient proches, en y ajoutant leur sens de l'absurde, mais épurant leur mise en scène de presque tout mouvement de caméra : emprisonnant ainsi leurs personnages dans les paysages du Texas. La plaine enneigée de Fargo a laissé place au désert et à des villes perdues. Mais là où le Minnesota accouchait de petite frappe à la bêtise criminelle, le désert brûlant voit surgir le diable (ou une punition divine,ou plus surement, la preuve que dieu n'existe pas.... au choix) ; ce Chigurgh, incarnation de la violence qui régnera désormais sur cette terre.
Coupe de cheveux improbable, jean serré, sourire imbécile : le visage du diable selon les frères Coen et leur interprète Javier Bardem qui rentre, dans ce pantalon étriqué, dans la grande histoire des psychopathes du cinéma. Face à lui, Moss, héros malheureux qui entraîne avec lui coupables et innocents, également victimes du châtiment absurde.
Que peut y faire un vieil homme, ce shérif d'un autre temps à qui Tommy Lee Jones prête son visage marqué et le regard impuissant de celui qui ne peut plus que compter les morts ?
Semblant faire partie du paysage, faisant de chacune de ces rides une histoire, Tommy Lee Jones parfait en héros de western fatigué : Kirk Douglas, Henry Fonda : ce monde n'est pas pour vous. Le bien et le mal sont des notions dépassées, si tant est qu'elles ont jamais existé, mais le Texas était peut-être le dernier endroit où on voulait y croire : les gentils châtiaient les méchants, protégeaient la veuve... Les chevaux ont été remplacés par des 4X4, pratiques pour traverser la frontière, chargés de drogue. Ce pays n'est plus pour le vieil homme... Si tant est que ce pays ait jamais existé.Réalisant leur meilleur film depuis Fargo, les frères Coen, retrouvent dans le monde en décomposition de Cormac MacCarthy la grâce qui les avait quittés. Ils y trouvent aussi une noirceur qui frise le nihilisme : la dernière scène, ce rêve qu'on rendra à Cormac MacCarthy et Tommy Lee Jones, ouvre un abyme...
Notre monde.

Jérémy Sibony

mercredi 9 janvier 2008

Garage

Réalisé par : Lenny AbrahamsonAvec : Pat Shortt, Conor Ryan, Anne-Marie Duff Irlande, 1H30---------------------------

Très remarqué lors de son passage à Cannes, "Garage" donne des nouvelles du cinéma Irlandais, et disons le tout de suite, elles sont plutôt bonnes. Lenny Abrahamson sait raconter simplement l'histoire compliquée d'un homme simple.
Josie, gros bonhomme lourdaud au QI limité, tient la station service d'un village de la campagne Irlandaise. Sa naïveté touche ou agace, son patron profite de lui et son intelligence semble en parfaite harmonie avec le rythme de vie locale. Sympathique jusqu'à en être énervant, considéré comme un meuble du village, Josie est un homme seul, cherchant maladroitement à se raccrocher aux autres : des piliers de comptoir d'un bar qui le méprisent ou l'humilient, une femme qui repousse ses avances, un cheval à qui on "interdira" même de le fréquenter et un jeune, lui aussi assez perdu, qui lui sert d'aide au garage. Jamais détesté, même plutôt aimé, Josie n'est accepté nul part. Si le village semble vivre loin du monde, Josie vit en périphérie du monde, découvre la sexualité par des cassettes pornos abjectes et ridicules.

Lenny Abrahmson a eu la bonne idée de choisir une star de la comédie Irlandaise : Pat Shortt qui donne à Josie son corps trop lourd à accepter pour les autres et ne cherche pas à en faire un Forrest Gump porteur d'une sagesse ou d'une pureté quelconque."Garage" fait l'économie d'effets larmoyants qui auraient pollué le film. Il semble évoluer à la mesure de ce village, au risque de se perdre et de patiner au milieu du film, avant que le drame se noue insidieusement, de façon dérisoire mais fatale.La vie de Josie basculera pour une stupidité, une maladresse d'ado atardé. Son lien au monde ne tenant qu'à un mince fil, menace de se rompre.Le joli portrait d'un marginal dans un village perdu s'estompe au profit d'un récit plus grave qui était vraiment le coeur film. Mais il est trop tard...

La violence latente de "Garage" était bien présente tout au long du film, ce que le calme du paysage Irlandais et le sourire de Josie avaient jusque là caché.L'existence simple de cet homme simple n'était pas dérisoire, ce "petit" film non plus.

Jérémy Sibony

L'ïle

Réalisé par : Pavel Lounguine Avec : Piotr Mamonov, Viktor Soukhoroukov Russie, 1H52


Pavel Louguine, cinéaste brillant, agité et un peu sous-estimé fait payer au spectateur le peu d'intérêt que les spectateurs ont accordé à ses précédents films pourtant très réussis.
Les Inrocks/les Cahiers/Libé le snobent depuis le succès de Taxi Blues, Louguine ne bénéficie pas de la carte, c'est dur pour un cinéaste russe. Pour y remédier, il semble avoir décidé de faire dans le "contemplatif" chiant et symbolique. Au lieu de la folie, de la vie, de la violence de ses derniers films, Louguine nous inflige une caricature du cinéma russe.L'Île siffle l'hymne national Russe à chaque plan : rédemption, sainteté : le héros du film se voudrait un starets Dostoïvskien, les plans, assez beaux, fatiguent vite par leur symbolisme insistant.
On cherche en vain l'émotion, le choc esthétique auquel on pourrait se raccrocher, et on s'ennuie ferme, ce qui, dans un film de Lounguine est un comble.En s'éloignant de son style habituel, le réalisateur tentait un pari : c'est raté, malgré les belles images pieuses, et le plaisir de retrouver Piotr Mamonov, le saxophoniste de Taxi Blues, qui seul maintient le spectateur en éveil.
On attend donc le prochain Lounguine, plus Louguinien ou avec un profil de l'oeuvre qui permettra au spectateur de mesurer combien tout ça est intelligent et significatif, ce dont on ne doutait pas une seconde, mais qui nous emmerde profondément.

Jérémy Sibony

mercredi 2 janvier 2008

Shotgun Stories

Réalisé par : Jeff NicholsAvec : Michael Shannon, Douglas Ligon, Barlow JacobsEtats-Unis, 1H32

L'Arkansas, deux fratries issues du même père ; le père meurt, les règlements de comptes sont alors inévitables.
Pour un premier film, réalisé avec des bouts de ficelles, Jeff Nichols, natif de cet Arkansas où des petites villes meurent d'ennui dans une lumière et des paysages magnifiques, Nichols fait preuve d'une grande maîtrise du récit : un art de l'éllipse, sûrement encouragé par le manque d'argent mais terriblement efficace.
La mise en scène, impeccable, s'attarde sur des moments anodins, des gestes qui sont la vie de cette ville perdue et de ses habitants.La beauté du film tient autant dans la lumière de cet Arkansas d'un autre temps que dans les personnages complexes et attachants auxquels les acteurs inconnus (Douglas Ligon, lâche, faible et magnifique) ou connus (Michael Shannon, déjà applaudi dans "Bugs" ) donnent une épaisseur si éloignée de la caricature du "redneck".
Ce Western qui reprend les thèmes habituels : la petite ville, la fratrie, la vengeance, séduit par sa capacité à être là où on ne l'attend pas : une partie de pêche, un terrain de Basket... Alors même que la tragédie shakespearienne se noue.Il y aura du sang, des morts, de la tristesse, de l'espoir aussi...Et le temps passe qui oublie Shakespeare en Arkansas.
La lumière reste la même, l'ennui et la pauvreté aussi. Jeff Nichols, qui devient dès ce premier film un cinéaste de premier plan, s'attarde sur les êtres, leurs drames anonymes, leurs luttes absurdes, leurs minces victoires : c'est ainsi que les hommes survivent, en Arkansas comme ailleurs.

Jeremy Sibony